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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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28 janvier 2011

Quelle sortie de crise pour la Côte d’Ivoire?

Ce texte a été écrit en mai 2004. C'était au début de la crise ivoirienne. Est-il toujours d'actualité? A vous d'en juger.

La Côte d’Ivoire est rongée par une crise sociopolitique sans précédent dont les retombées se soldent en termes de pertes énormes en vie humaine. Les derniers  événements macabres, ceux de mars 2004, n’ont pas encore livré tous les mystères dans lesquels les commanditaires et auteurs de ces actes odieux les ont enfouis. De ces derniers rebondissements du conflit ivoirien et de l’un de ses points de contention, à savoir le cas Ouattara, je voudrais proposer une lecture  et quelques idées comme cheminements d’une sortie de crise.

1.         Le cas Ouattara

Sans emprunter les sentiers battus et les sempiternels raccourcis portant sur l’origine et la présence d’Alassane Ouattara sur l’échiquier  politique ivoirien, quelles que soient la validité et la pertinence des thèses avancées par ses défenseurs et adversaires, je voudrais évoquer  la problématique de l’ambition politique de ce technocrate de haut calibre comme un cas de conscience. Un cas de conscience pour M. Ouattara lui-même d’abord et pour les principales chapelles politiques ivoiriennes qui l’ont soutenu et/ou combattu depuis près de dix ans.

A M. Alassane Ouattara 

Avant tout, je voudrais, à la face de la Nation ivoirienne, adresser à M. Ouattara, mes regrets pour avoir, dans certains de mes écrits, adopté, par le passé,  des positions considérées  tranchées par ses partisans et lui-même, sur son ambition de diriger la Côte d’Ivoire au plus haut niveau.  En le faisant, je me suis permis, comme tant d’autres, de me prononcer sur le fond du dessein politique qu’il  nourrit  pour ce pays qui est à nous tous.

Que Alassane Ouattara  soit un leader incontournable du jeu politique ivoirien et son pendant de  crise larvée ou ouverte est un fait ! Ceci constitue, du reste,  une charge importante dont la portée devrait être appréciée, en priorité, par M. Ouattara lui-même, en son âme et conscience.

Dès lors, il revient à Alassane Ouattara, comme aux autres acteurs politiques de poids du pays,  de discerner le sens réel du  dessein dont il se sent investi pour la Côte d’Ivoire,  ainsi que des moyens à déployer  en vue de la traduction dans les faits de cette ambition politique. C’est pourquoi,  au regard de toute la tragédie que vit notre pays et de laquelle son ambition politique est sans nul doute l’épicentre, M. Ouattara devrait s’engager dans un acte d’introspection. Ensuite, il définirait, avec lucidité, clairvoyance et sagacité, la  façon dont il pourrait et devrait s’impliquer le plus efficacement possible dans la résolution de la crise ivoirienne et, au-delà, dans la construction d’une Nation ivoirienne prospère, solidaire et généreuse au profit de tous ses fils et filles. 

Plutôt que de laisser les autres, comme  Soro Guillaume  et Cissé  Bacongo,  se prononcer, à sa place,  sur la suite à donner à son  ambition politique, M. Ouattara ne devrait, à mon humble avis, s’en référer principalement qu’à sa conscience. En véritable leader, il devrait se dégager de toute pression et définir l’orientation que les hommes et femmes qui se reconnaissent en lui devraient suivre en vue de conduire notre pays dans une dynamique de paix,  de tolérance et d’ouverture, susceptible d’aboutir à la réconciliation des cœurs et des esprits. 

Si, du plus profond de lui-même M. Ouattara estime qu’à la suite de  cette crise, il peut accéder aux plus hautes charges de l’Etat de Côte d’Ivoire et réussir à diriger ce pays dans la paix, la tolérance et la concorde, c’est à lui seul de le décider. En le faisant, il pourrait avoir à l’esprit les préoccupations de  cohésion nationale  et de développement socio-économique de notre pays dans son entièreté.

Aux autres leaders politiques ivoiriens 

Les leaders des principaux partis politiques ivoiriens devraient se soumettre à une action  de  méditation, à un examen de conscience,  sous la forme de contrition, pour jeter un regard critique  sur les dommages faits à la Nation, suite  aux  positions immodérées qu’ils ont contribué à insuffler à une grande partie des Ivoiriens à propos de l’ambition politique d’Alassane Ouattara. Ceci s’adresse principalement aux dirigeants du PDCI- RDA, au FPI et à ses organisations satellites.

Si aujourd’hui le PDCI- RDA semble avoir tiré des leçons du passé, ce n’est pas le cas du FPI, de sa presse et des mouvements de la société civile,  qui se sont  autoproclamés défenseurs  de la République, mais défendent, en priorité, un régime et vouent aux gémonies tous ceux qui s’associent au RDR et tentent de renouer le fil conducteur du dialogue avec les anciens rebelles pourtant admis au gouvernement par le Président de la République.

Plus aujourd’hui qu’hier, les politiques ivoiriens et leurs sicaires de la presse et de la société civile devraient cesser de faire du cas Alassane Ouattara l’alpha et l’oméga de la vie publique  ivoirienne. A défaut, ils devraient voir en cet homme  un  adversaire politique à combattre au niveau des idées, des programmes politiques et des projets de société, plutôt que de le diaboliser ou de faire de son origine un spectre qui hanterait la Côte d’Ivoire et anéantirait ce pays, si cet homme accédait à sa direction suprême.

Cette aversion d’Alassane Ouattara et la psychose qui est cultivée à propos de cet homme dans certains cercles politiques  ressemble plus à un réflexe de tribu assiégée qu’à un projet politique rigoureux, durable et porteur d’espérance pour notre pays. Tous les politiques ivoiriens devraient, ensemble, libérer notre pays du discours politique fétide et factice fondé sur des considérations subjectives et prospérant dans la démagogie et l’extrémisme.      

S’appuyer sur M. Ouattara, tirer avantage de son  audience nationale et de son réseau  de relations internationales, prétendre défendre sa cause  pour accéder au pouvoir et ensuite tenter de s’y  maintenir en le combattant relève du cynisme. Il en est ainsi de ce procédé consistant à faire de sa présence sur la scène nationale un fonds de commerce politique. Ces actes de manipulation politique constituent, en dernière instance, l’une  des causes profondes de la déchirure du tissu social ivoirien.

Avec le temps, de telles manœuvres montrent leurs limites. Ce jeu  auquel des partis politiques s’adonnent est de nature à porter un sérieux coup à  la cohésion nationale, si cela n’est déjà fait, tant il est vrai qu’une composante importante de la Nation se reconnaît dans le combat de cet homme et voit dans les contrariétés qui lui sont perpétuellement faites la marque de son exclusion du jeu politique ivoirien.

En plus de dix ans de polémique à propos de l’origine de M. Alassane Ouattara portant essentiellement sur ses ambitions politiques, il est grand temps que la classe politique laisse cette question au peuple ivoirien qui est le seul détenteur de la souveraineté et décideur de la personne à qui il donne un mandat pour le représenter pendant un temps précis.

Une donne que les politiques ivoiriens ne semblent pas percevoir suffisamment relève, à mon avis, du fait que les actes qu’ils engagent pour oblitérer l’ambition politique d’Alassane Ouattara ou lui faire porter toute la responsabilité dans les convulsions sociopolitiques du pays sont vus, de l’extérieur, comme des manœuvres de politiques refusant de se soumettre au suffrage des Ivoiriens avec un adversaire de taille. Lorsque sur une longue période, nos politiques semblent incompris à l’extérieur sur la question Ouattara, quelle attitude la sagesse du terroir que nous connaissons tous commande?  La retenue, la modération et la flexibilité.

Ce qui relève, en revanche, d’une position courageuse que les deux principaux partis ayant, ensemble, une forte majorité au Parlement devraient prendre est bien évidemment l’adoption du projet de loi portant sur l’amendement, en son article 35, de la Constitution. Ceci peut, éventuellement, donner un signal fort à la communauté internationale de la volonté des politiques ivoiriens  d’œuvrer  au retour de la paix dans notre pays. Ce faisant, les rebelles n’auraient plus, en toute objectivité, de prétexte à garder leurs armes, puisque le référendum devant porter sur l’amendement de la Constitution ne pourrait s’organiser que sur toute l’étendue du territoire soumis à l’autorité de l’Etat.

2.         les événements de mars 2004 et leurs interprétations

Pour disserter sur les événements du 25 mars 2004 et la polémique autour du  décompte des victimes, tout comme sur le Rapport de la Commission d’enquête de l’ONU, il convient de s’arrêter à un point fixe: lorsqu’il y a mort d’homme par le fait de la violence politique, même s’il ne s’agit que d’une seule perte en vie humaine, elle est suffisamment importante pour susciter le choc, provoquer l’indignation et conduire au recueillement. Tout ce qui vient après n’est que de la vanité ou de la diversion!

Depuis décembre 1999, il y a effusion de sang à profusion sur le sol de cette contrée jadis connue comme une terre d’exception en Afrique, dans le sinistre registre  des atrocités repérées sur le terrain politique. Comme tétanisés par la violence et la culture de la violence dans laquelle les Ivoiriens se jettent perfidement, les dirigeants du pays et leurs porte-voix de la presse et de la société civile ne pointent du doigt que vers leurs adversaires politiques ou l’extérieur.

Porter toujours un regard accusateur sur les autres pour tous nos problèmes internes est une voie dangereuse et perfide. C’est la voie du faux-fuyant et de la forfaiture. Cette piste n’appelle aucunement l’humilité, la remise en cause de soi et la contrition. Au contraire, elle durcit les cœurs en soldant la mort en pertes et profits. Par ailleurs, elle avilit l’homme et installe la conscience collective du pays dans une dynamique de violence. C’est un cycle infernal qui s’institue progressivement  dans notre pays et si nous n’y prenons garde, la Côte d’Ivoire risque d’être détruite à jamais. 

Que devant notre drame, la communauté internationale s’intéresse à notre pays et s’investisse dans la résolution de notre crise devrait être un motif d’espoir pour nous tous, surtout nos leaders, premiers responsables de la déchirure du tissu social ivoirien ! Mais, attention, c’est à  nous qu’il revient, en premier lieu, de nous résoudre sincèrement à briser le cycle de la violence dans lequel les ambitions politiques de nos leaders sont en train de nous conduire insidieusement. Plutôt que de nous attaquer aux autres, cessons de briser le thermomètre et tâchons de soigner la fièvre. En d’autres termes, laissons de blâmer le photographe et voyons en nous-mêmes le Boubou que notre image fait projeter par son objectif!

Les commissions d’enquête de l’ONU, les investigations des institutions de défense de droits de l’homme et tous les compte-rendus d’organes de presse internationaux ne se font qu’à partir de faits. Ces faits peuvent être grossis, passés sous silence, mais ils n’en constituent  pas moins les résultats des tueries dues aux luttes politiques dans notre pays. Chez nous, on l’exprime de belle manière en ces termes : « On ne cache pas le soleil d’une main » !

Hier, un charnier a été découvert dans notre pays. Quelle que soit la manière dont ce charnier a été constitué, quels que soient les mobiles de ceux qui l’ont monté et les raisons ayant motivé ces tueries massives, il s’agit de personnes humaines, des Ivoiriens et certainement d’autres Africains, dont la vie a été arrachée, dans le cadre de luttes politiques.

En décembre 2000, il y a eu des exactions sur les militants du RDR, avec des pertes en vie humaine, à la suite de manifestations portant sur un contentieux politique. Les sévices et autres voies de faits sur les journalistes nationaux de la part des défenseurs du régime sont monnaie courante dans notre pays. En décembre 2003, un journaliste d’un organe de presse international a été abattu non loin du siège de la Police nationale. Aujourd’hui, notre pays est frappé d’une torpeur, celle relative à l’énigme de la disparition d’un autre journaliste de la presse étrangère : Guy-André Kieffer. Ceci  charge notre conscience et nous couvre de honte. Trop, c’est trop !

Tous ces cas d’atrocités, ajoutés aux victimes d’une guerre que nous avons tous du mal à expliquer et ses horreurs, devraient nous faire réfléchir. Il y a une ligne rouge que nous sommes en train de franchir allègrement. Il nous faut un sursaut d’orgueil national en vue de domestiquer en nous cet instinct  grégaire et animal qui a détruit hier le Libéria et la Sierra-Leone voisins et s’est emparé du grand Congo, après avoir fait un détour ravageur au Rwanda et au Congo-Brazzaville.          

La Côte d’Ivoire se donne progressivement comme un vaste champ de ruine. Des décombres de ce champ de ruine et la morale qui s’en dégage, ce que nous avons encore de leadership devrait s’armer de courage, de sagacité et d’intelligence pour se poser cette question  avec Jean Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu: « où est la pire lâcheté, être lâche avec soi-même en provoquant la guerre ou être lâche avec les autres en préservant la paix » ? La lâcheté ici consiste essentiellement dans le fait de voir en les autres la source principale de nos problèmes. Elle procède également de notre incapacité de nous engager de bonne foi dans la quête de la paix. Elle s’exprime, par ailleurs, dans l’atermoiement et les méthodes dilatoires dont le résultat caressé secrètement dans certaines coteries serait de créer les conditions de la reprise de la guerre.

Emmanuel Yao Boussou

New York, le 17 mai 2004.      

                        

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