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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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14 octobre 2010

Evitons de tomber dans le piège de l’ethnicisme

Lettre ouverte au futur président de la Côte d’Ivoire[*]

Je voudrais m’entretenir avec vous à propos d’un sujet extrêmement délicat : il s’agit de la question ethnique. A l’instar de la plupart des pays africains, la Côte d’Ivoire a un paysage politique marqué par la donne ethnique. L’adhésion aux partis politiques dans notre pays se fait principalement en fonction de l’attachement sentimental des individus au leadership de ces mouvements politiques. C’est la manifestation de cette réalité qui se vérifie dans ce qu’on désigne sous le vocable de bastions de partis politiques, c’est-à-dire des zones géographiques correspondant à des groupes humains acquis à la cause d’un parti politique. Ces zones peuvent, cependant, connaître des mutations dues aux migrations des populations pour raisons économiques.

Avec la multiplicité de groupes ethniques, l’immigration et l’urbanisation, la Côte d’Ivoire connaît un brassage humain et des mutations sociologiques qui atténuent l’impact de la donne ethnique dans la vie publique. En outre, une grande partie de la jeunesse se soustrait à ce schéma, parce qu’elle est issue de l’environnement urbain et procède d’une culture de melting pot. Mais, les configurations de cette nouvelle société ivoirienne sont en mouvement et insuffisantes, à l’heure actuelle, pour dicter leur logique à la conscience publique nationale.

Lorsqu’un homme ou une femme aspire aux charges suprêmes de l’Etat, il ou elle se soumet au choix de ses concitoyens, dans un souci de rassembler le maximum de voix pour remporter une élection. En principe, tout candidat à l’élection présidentielle mène une campagne électorale sans se fonder sur l’origine ethnique des électeurs ou sans définir des critères ethniques comme éléments moteurs de ses argumentaires électoraux. Cependant, nul ne peut interdire à des électeurs d’opérer leurs choix en fonction de l’origine des candidats. Ceci est une évidence qui procède de l’état mental des populations qui constituent la Nation. On  peut, certes, le déplorer, mais cela s’impose à nous tous. C’est avec le temps et un effort général d’éducation politique de la population que le vote pourrait progressivement expurger ses oripeaux ethniques.

Personne ne peut objectivement se plaindre que le leadership d’une formation politique soit composé principalement de cadres originaires d’une région ou d’une autre du pays. En vérité, nous adhérons à un parti politique pour des raisons qui nous sont personnelles. Ces raisons peuvent être objectives ou subjectives.

S’il est impossible de moduler les choix politiques des individus et des groupes humains, il est, cependant, nécessaire d’envisager la gestion du pays à tous les niveaux sur la base de principes définis par la Constitution de notre pays qui sert de boussole dans l’organisation de la vie publique.

    

Une fois l’élection présidentielle terminée, le candidat vainqueur du scrutin devient le président de toute la Côte d’Ivoire. Cet homme ou cette femme cesse d’être d’une ethnie, d’une région. On pourrait dire qu’il ou elle cesse d’exister dans l’exigüité des liens sentimentaux, grégaires et intimes d’un groupe ethnique pour renaître dans l’ouverture et la symbiose des richesses des peuples de Côte d’Ivoire. C’est ce principe qui dispose que le président élu n’est plus le leader d’une formation politique, parce qu’il se met au-dessus des entités partisanes pour incarner toute la Nation sans exclusive.

Parce qu’il ou elle n’est pas issu du suffrage d’un seul groupe ethnique ou d’une région, le Chef de l’Etat ne saurait se présenter comme le président d’une ethnie ou d’une région. Il ne doit se constituer un entourage qui ne reflète qu’une ethnie ou une région, même si c’est dans ce cadre-là qu’il croit détecter les compétences requises pour la conduite des affaires de l’Etat. Les compétences existent dans toutes les composantes de la société ivoirienne.

Il faut le dire avec force et clarté : la vie publique de notre pays est hantée par l’ethnicisme. On a tendance à considérer, même si on ne l’avoue pas publiquement, que c’est une ethnie, une région, plutôt que l’expression de la symbiose et de la convergence des peuples de Côte d’Ivoire, qui est aux affaires dans notre pays. Pour une grande partie de nos compatriotes, c’est malheureusement l’ethnie, plus que le programme politique d’un parti, qui se définit comme l’essence de la vie publique de notre pays. Cette lancinante idée s’est accentuée ces dernières années en Côte d’Ivoire.

Sans vouloir toujours regarder dans le rétroviseur ou designer des boucs-émissaires, il nous faudrait, avec courage, générosité et sagesse, agir dans le sens de l’ouverture, de la cohésion et de l’harmonie. Ceci est d’autant primordial que la Côte d’Ivoire connaît une grave crise sociopolitique sur fond de problèmes d’identité ! C’est la raison pour laquelle je voudrais suggérer, en toute modestie, que le président qui sortira des prochaines élections présidentielles engage une action d’envergure comprenant les sept points suivants :

1.         Constituer une délégation de cadres originaires de sa région natale, de son groupe ethnique et leur confier la mission d’aller à la rencontre de ses parents, dans sa région et auprès des groupes ethniques apparentés, pour :

2.         Les remercier de lui avoir donné vie et assuré une bonne éducation, source de ses réalisations dont le summum est l’accession aux charges suprêmes de l’Etat de Côte d’Ivoire ; 

3.         Leur faire savoir que l’enfant qu’ils ont mis au monde et dont ils se sont tant occupé est devenu, selon leurs aspirations, un adulte accompli. Il appartient maintenant à toute la Côte d’Ivoire. Cet homme ou cette femme, n’est plus uniquement le fils ou la fille d’une seule région ; il ou elle n’a plus d’ethnie et n’est plus issu d’une région. Il ou elle est de toutes les ethnies et régions de Côte d’Ivoire.

4.         Qu’ils sachent qu’en arrivant au pouvoir, le président n’a pas uniquement bénéficié du suffrage d’une ethnie ou d’une région ; mais de la majorité du suffrage exprimé d’Ivoiriennes et d’Ivoiriens d’horizons divers. Les charges qui sont les siennes ne se limitent pas à une ethnie ou région ; elles embrassent toute la Côte d’Ivoire.

5.         Qu’ils comprennent que leur fils ou fille, qui n’est plus à eux seuls maintenant, a une mission primordiale à accomplir : se mettre exclusivement à la disposition de toute la Côte d’Ivoire, dans la diversité de ses sensibilités et dans la pluralité des ses configurations humaines.

6.         Pour accomplir cette mission, il ou elle leur demande de l’aider à se détacher des attaches ethniques étouffantes et de la solidarité clanique qui sont réductrices, pour pouvoir s’ouvrir à toute la Côte d’Ivoire. Par conséquent, il leur revient de ne pas le solliciter pour offrir des postes aux filles et fils de leur région ou pour intervenir en leur faveur dans des contentieux avec des ressortissants d’autres régions du pays. Ceci suppose qu’il ou elle puisse s’appuyer sur toutes les compétences que la Côte d’Ivoire recèle, pour ne pas donner l’impression que le pays est aux mains des ressortissants d’une ethnie ou d’une région. 

7.         La gestion de la Côte d’Ivoire étant l’affaire de tous les Ivoiriens, aucun individu ne saurait recevoir des avantages indus dans la conduite des affaires de l’Etat ou faire l’objet d’une injustice caractérisée sur la simple base de son origine ethnique. Il faudrait traduire dans les faits l’idée selon laquelle tous les nationaux compétents peuvent, indépendamment de leur origine ou conviction politique, aspirer à la construction nationale dont l’Etat trace le canevas d’action. Autant le président appartient à tous les Ivoiriens, autant il choisira ses collaborateurs et tous les animateurs des appareils de gestion de l’Etat sur la base de leurs compétences. Avec vigilance, il s’attèlera à ne pas favoriser une ethnie ou une région, au détriment des autres, que ce soient au niveau de la désignation du personnel dirigeant de l’Etat ou dans l’affectation des ressources pour des travaux de construction du pays.   

Emmanuel Y. Boussou   

New York, le 13 octobre

[*]Cette missive est adressée au vainqueur de l’élection présidentielle prochaine. Cependant, je voudrais la partager avec tous les candidats à ce scrutin.


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