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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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4 mai 2008

Des élections crédibles pour l’amorce d’un processus de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire

On ne le dira jamais assez, la crise sociopolitique que vit la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 tire son origine du contentieux électoral portant sur le scrutin présidentiel d’octobre 2000 et les législatives de janvier 2001. L’élection présidentielle du 22 octobre 2000 ne fut pas seulement une parodie –les candidats du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) et du Rassemblement des Républicains (RDR) en furent arbitrairement exclus ; à l’issue de cette compétition, la victoire fut revendiquée par deux candidats et arrachée par un camp avec des manifestations de rue et le soutien d’une partie des forces armées nationales.

                   

Cette élection fut surtout entachée d’un bain de sang. De plus, une découverte macabre émergea du paysage politique ivoirien : le charnier de Yopougon. De ce point de vue, le scrutin présidentiel d’octobre 2000 marque le début d’un cycle de violence politique en Côte d’Ivoire.

Les législatives de janvier 2001 ne furent pas moins tumultueuses. Par-dessus tout, elles furent précédées d’exactions à l’encontre de militants du RDR. On se rappelle les cas de femmes brutalisées et violées à l’Ecole de Police, en décembre 2000.

La tentative avortée de coup de force de janvier 2001 et le coup d’Etat  manqué de 2002, ainsi que sa transformation en une occupation d’une partie du territoire national par une rébellion armée, sont des faits qui résultent essentiellement de l’ostracisme dont le RDR et son président furent victimes dans le cadre des élections générales de 2000-2001. Malgré leur caractère subversif et la répulsion qu’ils puissent susciter chez des Ivoiriens, ces faits de la  vie publique nationale ne sont pas des épiphénomènes qu’on saurait passer par pertes et profits ou considérer comme des soubresauts d’un jeu politique régulier.

Le conflit que notre pays connaît depuis 2002 a laissé de profonds stigmates sur le tissu social et l’espace public ivoiriens. Les trames qu’il implique, les points d’achoppement entre différentes composantes de la société ivoirienne qu’il met en relief et les interpellations auxquelles il invite sont donc des faits qui donnent nécessairement une nouvelle dimension aux débats politiques en Côte d’Ivoire. Ces faits charrient des questions d’identité et s’expriment à travers des enjeux politiques qui sont censées être régulés par le processus électoral. C’est pourquoi les élections annoncées pour novembre 2008, si elles étaient organisées, seraient d’une importance capitale dans le rééquilibrage du jeu politique ivoirien, autant qu’elles constitueraient un instrument majeur de régulation sociale et de réconciliation nationale.

1.         Septembre 2002 marque une rupture entre le jeu politique ivoirien et le mode d’accession et de conservation de pouvoir dans la plupart des pays africains

Confrontés à la vague de contestations des années quatre-vingt-dix, la plupart des pays africains gérés, auparavant, dans un système de parti unique, ont amorcé des mutations de forme d’une ingéniosité déconcertante. Avec l’apparence de pluralisme politique exprimé à travers la multiplicité de partis politiques et des ajustements d’ordre constitutionnel, le pouvoir politique n’a, cependant, pas changé de mains dans la majorité de pays du continent, quand bien même des élections ont été organisées. Là ou des dispositions constitutionnelles imposaient des limitations de mandat, on a eu recours à des amendements au code électoral et à la Constitution opérés par des parlements aux ordres. Dans certains pays, la cession du pouvoir par des modes dynastiques ne s’est nullement embarrassée, à la mort du dirigeant suprême, de lifting ou autres habillages électoraux. Il est vrai qu’après son accession au trône, le nouveau prince a recours à des « élections » pour valider sa prise de pouvoir.

Depuis près de deux décennies, on organise, en général, des consultations électorales à intervalles réguliers en Afrique, sans aucun changement à la tête de la plupart des pays du continent et sans aucune avancée notable en termes de culture démocratique. Les tenants du pouvoir et leurs opposants versent tous dans la surenchère, la mauvaise foi et l’extrémisme.

On fait usage à outrance de manipulations du processus électoral, d’achats de conscience, d’intimidations. On essaie de contenir la violence pré et postélectorale, lorsqu’on ne la suscite pas. On se fait désigner, en fin de compte, vainqueur d’un scrutin avant la proclamation des résultats, en se disant que la communauté internationale boudera un moment, mais finira par accepter l’issue d’une épreuve de force qu’on sait, d’avance, à son avantage. Dans le cas contraire, on pratique la politique de la terre brûlée.               

En Côte d’Ivoire, le Front populaire ivoirien (FPI) a entamé une campagne électorale, avant la lettre, avec le slogan : « On gagne ou on gagne ». Si l’on peut s’attendre de la part d’une formation politique au pouvoir tout effort entrepris, dans le cadre de ce qui est prescrit par la loi, pour remporter des élections --ce qui est exprimée dans la première partie du slogan--, on comprend mal les insinuations de la deuxième partie de la phrase « on gagne ou on gagne ». Est-ce à dire que le FPI fera usage de tous moyens à sa disposition pour garder le pouvoir politique ? Quels sont donc ces moyens et en quoi cela est-il différent d’une confiscation pure simple de pouvoir ou d’un coup d’Etat ?

« On gagne ou on gagne ». Ces paroles saugrenues sorties de la bouche du président du FPI ont vite été ravalées. Mais, comme on dit chez nous, « l’eau versée ne se ramasse pas » ou « ce qui est dit est dit ».  Ce qui apparut comme une formule maladroite pourrait traduire un état d’esprit, une prédisposition, à n’entrevoir qu’une victoire à l’issue d’un scrutin qui n’est pas encore organisé. Etant donné qu’en général, les régimes au pouvoir en Afrique ne perdent pas d’élection, il est tentant de croire que le FPI  essaierait de faire de même, c’est-à-dire tout entreprendre pour le contrôle des appareils d’Etat.

Quant à l’opposition, les leaders des partis politiques les plus représentatifs, qui la composent et l’animent, ne disent rien de plus que leur conviction de remporter, chacun, le scrutin présidentiel, s’il était organisé. Dans un pays qui ne dispose d’aucun institut fiable de sondage, on se demande bien d’où vient cette certitude ! N’est-ce pas une incantation ?   

Il est d’une impérieuse nécessité de rappeler à toutes les chapelles politiques ivoiriennes que rien, après cette crise, ne sera comme avant en Côte d’Ivoire. On ne peut pas, dans ce pays, « gagner ou gagner », mais plutôt « gagner ou perdre », selon uniquement le libre choix de la majorité des électeurs ivoiriens et rien d’autre. C’est la seule voie de sagesse pour sortir de l’engrenage de la violence politique, en vue d’amorcer un véritable processus de réconciliation nationale.

2.         Quelle inspiration tirer des exemples d’Abdou Diouf et de Nelson Mandela pour les leaders ivoiriens ?

Même si cela est plutôt rare dans la grisaille de manipulation de processus électoraux, de duplicité ou de brutalité politique, l’Afrique offre des exemples de leadership désintéressé, éclairé et généreux aboutissant à des situations d’alternance au sommet de  l’Etat sans trop de tumultes. Ces exemples sont essentiellement l’Afrique du Sud de Nelson Mandela et de Tabo Mbeki, le Bénin de Mathieu Kérékou et de Nicéphore Soglo, le Mali de Amadou Toumany Touré et d’Alfa Oumar Konaré, le Sénégal d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade, la Zambie de Frederick Chiluba et de Levy Mwanawasa, etc.…

Je voudrais m’arrêter sur deux de ces exemples : celui de Nelson Mandela et d’Abdou Diouf. Ayant conduit le Congrès National  Africain (ANC) au sommet de l’Etat par des élections libres et transparentes, pour mettre fin au sinistre régime d’Apartheid, Nelson Mandela a renoncé au pouvoir après l’exercice d’un mandat. Compte tenu de l’histoire douloureuse de son pays, des longues années qu’il passa dans les geôles des tenants de l’Apartheid, de son équation personnelle faite d’humilité, de tolérance et de don de soi, Mandela est un exemple de grandeur d’homme que l’Humanité ne produit que rarement. Il est de la dimension de Gandhi et de Martin Luther King. Sa gestion du pouvoir au service de la réconciliation nationale en Afrique du Sud, son sens du pardon et de la contrition et sa capacité de rassemblement font de lui un homme exceptionnel.        

Abdou Diouf a quitté le pouvoir, à l’issue d’une élection régulière qu’il a perdue. Alors qu’il était aux affaires, avait une cour de partisans prêts à tout pour garder le contrôle de l’Etat et pouvait être tenté de faire appel aux forces militaires pour confisquer le pouvoir, il a fait preuve d’un courage politique exemplaire, d’un renoncement digne de l’homme d’Etat qu’il est et d’une clairvoyance extraordinaire. En cela, Diouf ne confirme que l’adage qui dit qu’on reconnaît l’arbre à son fruit, car son geste, en 2000, rappelle celui de Léopold Sédar Senghor, son mentor, en 1981.    

Pour renoncer au pouvoir ou pour accepter sa défaite, Nelson Mandela et Abdou Diouf se seraient probablement moins appuyés sur des avis et conseils de leur entourage que de l’écoute de leur moi personnel, du choix dicté par leur conscience de leader. A l’évidence, Mandela et Diouf se seraient dégagés de l’étreinte étouffante d’un ego encensé par des courtisans zélés, qui ne voient rien d’autre qu’une situation de rente dans le maintien d’un homme à la tête de l’Etat, celui-là qui construit leurs carrières et de qui ils reçoivent prébendes et passe-droits.

Il est certainement établi que Nelson Mandela et Abdou Diouf ne se voyaient pas en défenseurs d’une catégorie de leurs concitoyens contre d’autres et qu’ils n’entrevoyaient pas, dans leur accession au pouvoir, une quelconque revanche d’un clan de leur pays sur l’histoire. C’est en hommes libres, en leaders soucieux du devenir de l’ensemble de leurs concitoyens, en hommes d’Etat que Mandela et Diouf auraient fait le sacrifice de leurs ambitions personnelles. 

Les exemples de Mandela et de Diouf pourraient avoir une portée relative dans les trames au cœur du jeu politique ivoirien, tant il est vrai que le parti au pouvoir n’est pas confronté à un changement de leadership à la tête de l’Etat (cas de l’Afrique du Sud de Mandela à Mbeki) ou poussé à s’avouer vaincu à l’issue d’une consultation électorale (cas du Sénégal en 2000). Ici, il est plutôt question d’un pays meurtri par une crise sociopolitique sans fin sur fond d’ambitions politiques inconciliables et de contrariétés et sous-entendus renvoyant à des considérations d’ordre ethnique. Mon propos n’est point, cependant, de suggérer aux leaders ivoiriens de renoncer à leurs desseins politiques.

Le détachement, le désintéressement et le courage politique dont Nelson Mandela et Abdou Diouf ont fait preuve sont, en toute évidence, des qualités qui, à mon modeste avis, peuvent inspirer la classe politique ivoirienne, en vue d’envisager les élections prochaines dans la sérénité, la retenue et la sagesse. Etant censées mettre fin à un cycle de violence politique et amorcer une sincère réconciliation nationale, ces élections ne devraient désigner de vainqueur que celui qui obtiendra la majorité des suffrages exprimés par le collège électoral ivoirien.

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, le 4 mai 2008

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Commentaires
Y
Un plaidoyer qui doit être connu de toute la population Ivoirienne qui aspire à une véritable démocratie.Les exemples donnés sont très probants.Nous accepterons pas que le pouvoir soit confisqué par un parti politique.Qui règne par le glaive périra par le glaive.
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